Préparation [Tempête d'Orage]

-Hé ! Tempête d'Orage, réveille-toi !

Silence des Damnés cessa de tapoter l'épaule du matou du dos de sa patte pour approcher son museau de son poitrail et lui donner un coup, suffisamment fort pour le sortir de son songe. En temps normal, et si devant elle aurait été allongé un chat avec lequel elle n'allait pas passer la journée, elle lui aurait mordu le museau pour le réveiller et ce sans aucun scrupule. Mais voilà, aujourd'hui, elle devait aller chercher de la menthe au marais. Plus qu'un simple remède contre le mal de ventre, la guérisseuse de l'ombre s'en servait pour déboucher les narines des malades. Mais, bien sûr, elle ne pouvait se rendre au marais seule. Aussi, comme elle l'avait fait l'année précédente, elle avait choisi un chat qui l'accompagnerait et qui l'aiderait si quelque chose de fâcheux venait à se produire. Et, cette fois-ci, c'était à Tempête d'Orage que revenait ce rôle.

-Rejoins-moi dehors une fois que tu seras lucide, chuchota Silence des Damnés en pivotant sur ses pattes pour regagner la sortie.

Une fois dehors, elle se dirigea vers la pile de nourriture. L'hiver était bientôt là et cette dernière commençait à en faire les frais. La jeune chatte attrapa deux souries avant d'aller s'abriter sous un abri, près de sa tanière, où elle commença à dépecer son repas. Elle n'avait pas encore terminé sa besogne lorsqu'elle aperçut une silhouette se diriger vers elle. Pendant un court instant, elle crut que c'était un ancien qui, ne trouvant plus le sommeil, était sorti de sa tanière aux aurores. Mais non, ce n'était que Tempête d'Orage qui arrivait. D'un mouvement de queue, la guérisseuse lui désigna la deuxième sourie qu'elle avait apporté, l'invitant à prendre des forces. Elle n'attendit pas que le chat se soit assis pour déclarer :

-Prend bien le temps de mâcher, c'est la seule chose qu'il te sera donné de manger aujourd'hui.

Sur ce, Silence des Damnés se pencha en avant afin de planter les crocs dans le corps du rongeur. La chair était froide, dure, sans aucun goût. Pourtant, il fallait l'apprécier. Dans les marais, trouver de la nourriture, incluant tout sauf les crapauds, relevait de l'impossible et il était bien sûr hors-de-question d'en emmener. Posant une patte sur l'une des extrémités de la sourie, la jeune chatte releva brusquement la tête, provoquant un petit claquement sec.

La guérisseuse répéta l'opération deux fois, se pourléchant les babines après chaque bouchée, avant de reprendre la parole. La veille, elle avait demandé au lieutenant de prévenir Tempête d'Orage qu'il devrait accompagner la jeune chatte au marais pour chercher des plantes, mais n'avais apporté aucune précision sur la présence du matou.

-Si tu dois m'accompagner au marais aujourd'hui, je pense que la moindre des choses soit que tu saches pourquoi, commenças-t-elle. La saison des neiges arrive, avec elles de nombreuses maladies. Mais je n'ai pas encore suffisamment de plantes pour assurer au clan un hiver sans trop de désagrément. Mais il y a certain remède que je ne peux pas aller chercher seule. La menthe, que l'on trouve dans les marais, en fait partie. Ta mission, aujourd'hui, est de ... de me protéger, d'une certaine façon.

Il était rare que je fasse des rêves, mais ce n'était pas une raison pour me réveiller. En tout cas sans bonne raison. c'est ainsi que commence ma journée, à sentir quelques coups de pattes sur mon épaule. Je ne daigne d'ouvrir les yeux, n'ayant pas envie de me lever lorsque la personne qui semblait déterminé à me sortir du lit m'asséna un coup plus fort dans la poitrine :

-Hé ! Tempête d'Orage, réveille-toi !

J'ouvris lentement les yeux, gémissant d'énervement. Je reconnaissais la voix de Silence des Damnés, ma guérisseuse. Ah oui, c'est vrai, Esprit Sauvage m'avait dit que je devais l'accompagner au marais pour chercher des plantes médicinales. J'avais oublié ce détail tiens ! Je me retins donc de la massacrer car elle avait une bonne raison de me réveiller et en plus ,j'allais devoir la supporter tout le long du chemin.

-Rejoins-moi dehors une fois que tu seras lucide.

Ouais, c'est ça... Quand je serai lucide hein ? Je l'étais déjà ! Enfin, ça me donnait le temps de m'étirer hors de la tanière et ainsi me laver la fourrure à coup de langues énergiques. Avec la nuit, il avait gonflé, si bien que je devais ressembler à l'un de ces nuages gonflés de pluie qui se trouvait dans le ciel lors de la saison des feuilles mortes. Quand même, je devais faire attention à mon apparence. Ressembler à une énorme boule de poils sur patte n'était pas une idée pour se donner une image féroce. Avant tout, si on pouvait me respecter et me craindre un peu, c'était parfait. Je m'ébrouai une dernière fois pour chasser tous les résidus du sommeil et alla rejoindre la guérisseuse. Elle ne me reconnait pas tout de suite mais à peine m'a t-elle vu qu'elle me désigna une souris qui gisait au sol avant de déclarer :

-Prend bien le temps de mâcher, c'est la seule chose qu'il te sera donné de manger aujourd'hui.

-Je sais, je sais...

Ce n'était pas la première fois que je faisais l'un de ces "grands" voyages. La faim n'était pas ce qui me tiraillait le plus souvent. C'était plutôt le manque d'exercice, ou lorsque j'en fais trop. Peu importe, je m'assis en face de la chatte et déchiqueta la proie en machant doucement, afin de savourer le plus possible le maigre repas. J'observai la guérisseuse qui prenait son temps à dépiecer sa nourriture. Mouais, j'espérais qu'elle n'était pas de mauvaise humeur, car je détestais qu'on m'embête pour une raison aussi dérisoire. Je n'aimais pas ces voyages, car passer une journée avec d'autres chats qui pouvaient être lourds m'horripilait. Enfin, je pense que ça devrait bien se passer. Je pris le plus de temps possible pour manger le pauvre rongeur maintenant devenu plus qu'un tas d'os. En attendant, la guérisseuse m'expliqua pourquoi elle devait faire un tel périple. L'hiver arrivait, ça va sans dire. Alors chercher à gonfler les réserves était normal, vu que la neige n'allait pas permettre la croissance des plantes. La menthe dont elle parlait se trouvait dans les marais, et y aller seul n'était pas très sécuritaire, en tout cas pour une guérisseuse. Evidement, il m'en revenait de la protéger. Un travail assez barbant car souvent, il ne se passait rien qui entrainerait un peu d'action. Elle aurait très bien pu y aller seule selon moi, mais je n'étais personne pour pouvoir dire quoique ce soit. En me léchant les pattes pour récupérer le reste de saveur de la viance, je répondis :

-Je sais tout ça. Ne me prends pas pour un jeune guerrier inexpérimenté. Je te suivrai et veillerai à ta sécurité, même si je ne pense pas que ce soit utile. Nous partons quand tu veux, je suis prêt.

Sans plus tarder, je me levai, en prenant soin d'enterrer les ossements de ma nourriture. Puis, j'attendis son signal de départ, bien que je sache où nous allons. Plus vite nous y serons, plus vite je serais rentré et débarassé de cette corvée.